Un peu d'histoire ...

De la sélection et l'hybridation

Les premiers croisements

C’est au 19ème siècle qu’apparaitront les premières obtentions issues de croisements maitrisés et d’hybridations contrôlées. Suite à la crise sanitaire de la fin du siècle avec l’arrivée en Europe de l’oïdium en 1845 puis du phylloxéra et du mildiou respectivement en 1863 et en 1875 importés d’Amérique du Nord, des moyens de lutte ont été mis en place. Afin d’éviter l’anéantissement du vignoble, les deux solutions abordées étaient alors la lutte chimique et l’utilisation de variétés résistantes. Millardet en 1878 parlait déjà d’hybridation et d’introgression de la résistance dans les cépages traditionnels français : « la propriété de résistance […] doit être héréditaire comme les particularités de structure ou de composition chimique auxquelles elle est certainement liée […] ces données seraient d’une application immédiate à la production par l’hybridation de nouveaux cépages tenant de l’un de leur parent la propriété de résistance au Phylloxéra et de l’autre les qualités nécessaires pour produire un bon vin ». (Chevalier, 1925 ; Rousseau et Chanfreau 2013 ; Boursiquot, 2013)

 

L’âge d’or de l’hybridation

La période de 1877 à 1955 fut donc l’âge d’or de l’hybridation interspécifique. En effet durant cette période le vignoble européen a été complètement transformé: les vignes traditionnelles ont toutes été greffées sur des portes greffes hybrides adaptés à une grande diversité de sols et de nombreux hybrides producteurs directs (HPD) ont été plantés. Le but de ces HPD était l’obtention de variétés ne nécessitant pas la greffe et cumulant donc résistance au phylloxéra et adaptation au sol, résistance aux maladies cryptogamiques et qualités de production comparables aux cépages traditionnels.

 

Les hybrides américains issus de croisements spontanés entre V.labrusca, V.riparia, V.aestivalis, et V.cinerea ont été les premiers observés en France au milieu du 19ème siècle avec les variétés Isabelle, Jacquez, Noah, Hebermont et Clinton. Ces variétés étaient dotées d'un très fort gout foxé, qui ne correspondait pas au gout français, leur succès fut donc limité. Afin d’améliorer la qualité des vins les hybrideurs français (Couderc, Seibel, Baco, Oberlin, Richter, Seyve Villard ….) à la pointe de la création variétale ont alors réalisé des croisements entre espèces américaines résistantes et V.vinifera, et obtenu plus de 1700 hybrides. Le contexte géopolitique de l’époque avec les grandes guerres mondiales sera favorable à l’expansion du vignoble d’HPD. Les ressources en cuivre et soufre sont alors limitées et chères et la main d’œuvre peu disponible, par conséquent les hybrides franco-américains de par leur résistance au mildiou et à l’oïdium et leur productivité importante ont été adoptés par les viticulteurs français. Ils représentent plus de 30% du vignoble en 1958 soit 400 000 ha. (Bouquet, 2009 ; Masson et al., 2008)

 

Dès 1934 les hybrides américains sont interdits en France, la réglementation des AOC exclura ensuite la plantation de la majorité des HPD. Finalement en 1957 ces hybrides seront classés en trois catégories : recommandé, autorisé et toléré et les mesures liées à l’organisation du marché (primes à l’arrachage, réduction des droits de plantation pour ces variétés…) n’encourageront pas leur plantation. Les viticulteurs de l’époque réorientés vers une démarche plus qualitative ainsi que le développement de l’industrie chimique conduisent à une régression très rapide de ces variétés, aujourd’hui elles représentent seulement 1 à 2% du vignoble soit un peu moins de 8 000ha pour une vingtaine d’hybrides autorisés. (CVI foncier, 2011 ; Bouquet 2009 ; Masson et al., 2008 ; Galet, 1988)

Suite à l’échec des HPD au milieu du 19ème siècle le monde viticole a en quelque sorte subi un traumatisme vis-à-vis de l’hybridation. Avec l’adoption de la solution phytosanitaire comme moyen de lutte, le contexte du marché (création des AOC, opposition de la qualité à la productivité…) et notamment le succès mondial de certains cépages, la filière a complètement délaissé la création de nouvelles variétés. Les recherches se sont alors plutôt orientées vers l’amélioration variétale qualitative par sélection clonale et l’amélioration des systèmes de traitement chimique (Bouquet, 2011).

Les débuts de l’hybridation moderne

Les années 60 se traduisent par les débuts de l’hybridation moderne. Les anciens hybrides sont alors plutôt appelés « variétés résistantes » et les nouvelles obtentions, sensibles au phylloxéra sont greffées. En Europe et dans les anciens pays de l’Est, dès le milieu du siècle des travaux sur la création variétale et l’hybridation aboutissent chez les hybrideurs privés et surtout dans les instituts de recherche publics. En effet l’accès aux produits phytosanitaires et les technologies liées à leur élaboration y sont souvent moins développés, dans ce contexte la création variétale constituait le meilleur moyen de lutte contre les maladies. Les vieux hybrides franco-américains serviront souvent de matériel de base à ces travaux. Les axes d’amélioration variétale porteront principalement sur la résistance aux maladies et la résistance au froid, avec en particulier l’utilisation des espèces asiatiques. Suite à l’apparition des premiers contournements de résistance dans les années 60-70 sur Bianca et Regent en Hongrie, les travaux s’orienteront vers l’obtention de résistances plus diversifiées et plus durables.

 

Grâce à la collaboration entre les chercheurs tchèques et allemands Vilèm Kraus et Helmut Becker, les premières variétés cumulant les sources de résistance de Vitis américains et asiatiques seront obtenues. C’est surtout l’Allemagne qui continuera ces travaux sur le pyramidage des résistances, en réalisant des rétrocroisements avec des V.vinifera dans le but d’obtenir des variétés qualitatives à la résistance polygénique.

En France alors que le monde viticole reste peu favorable à la création variétale et relativement réfractaire aux hybrides, Alain Bouquet initie un programme de création d’hybrides interspécifiques en 1974 à Bordeaux, qu’il continuera ensuite à Montpellier. Face à des variétés résistantes européennes à la traçabilité génétique de plus en plus complexe, son but est à la fois d’utiliser de nouvelles sources de résistances et de repartir sur des bases génétiques connues. Il décide d’utiliser une espèce sauvage non encore utilisée en Europe et génétiquement plus éloignée : Muscadinia rotundifolia. En repartant des travaux d’Olmo jusqu’alors délaissés, il est également le premier en Europe à orienter des travaux d’hybridation vers l’adaptation aux climats chauds. Son objectif est d’introduire un ou plusieurs gènes de résistance au mildiou et à l’oïdium issus de M.rotundifolia chez V.vinifera tout en reconstituant par rétrocroisements successifs une structure génétique globale la plus proche possible de V.vinifera. Ainsi après réalisation des rétrocroisements  (jusqu’à 7 générations) avec différents V.vinifera Alain Bouquet va parvenir à sélectionner des variétés intéressantes.

Quant à lui Roger Pouget créé lui aussi au début des années 80 à l’INRA de Bordeaux plusieurs nouvelles variétés résistantes aux maladies cryptogamiques, à partir de croisements entre des hybrides franco-américains et des V.vinifera. (IFV, 2011 ; Rousseau et Chanfreau, 2013)

 

A l’heure actuelle les risques liés à l’emploi des produits phytosanitaires sur la santé humaine et l’environnement sont de mieux en mieux connus. La viticulture aujourd’hui consciente de la

nocivité des fongicides et des exigences du développement durable (plan Ecophyto) est par ailleurs confrontée à une réglementation de plus en plus sévère (interdictions de traitements, réduction des doses autorisées, etc). Les vignerons s’orientent donc vers l’adoption de nouvelles méthodes de lutte contre les maladies et recherchent des alternatives à l’utilisation de substances chimiques.

Planter des cépages résistants et continuer le travail de sélection variétale, nous semble aujourd'hui être la meilleure solution pour une viticulture plus durable.

Travailler avec ces cépages innovants permettrait à la viticulture de s'adapter aux marchés (vins sans sulfites, vins mieux équilibrés, productivité,...) tout en respectant l'environnement.